vous avez deviné que je suis un lève tôt. Comme je le fais très souvent le matin, je pars de bonne heure pour une randonnée. Aujourd'hui, direction St-Fabien-sur-Mer pour respirer un peu l'air salin et activer le déclencheur de ma caméra. Les pointes rocheuses, le bord du fleuve, l'îlet au flacon aux multiples légendes ou la chapelle Notre-Dame des Murailles toute blanche et presque complètement encastrée dans le feuillage vert en cette période de l'année; que de bons sujets à mette sur fichier. J'arrive au village de "St-Fab", une brûme à trancher au couteau m'y attend. Je me dis d'abord: "Pas de photos aujourd'hui". Cependant je conserve l'idée d'une ballade; à pied, sur le bord du fleuve ou, pourquoi pas, sur la montagne, la montagne du chemin de croix. Oui, ce petit chemin abrupte, jadis, était bordé de quatorze panneaux, représentant chacun une station du chemin de croix catholique. Les gens récitaient des prières et tableau après tableau, lentement, ils montaient jusqu'à la croix et terminaient leur périple par un pique-nique familial proche de la cabane en haut de la montagne. Normalement, la vue y est superbe mais ce matin, avec le brouillard le seul bénéfice sera le cardio. Je gare la voiture sur la côte de la mer et je m'engage dans le vieux chemin; J'hésite avant de prendre ma caméra mais je me dis que la brûme matinale finira peut-être par se dissiper. Je suis presque rendu en haut quand je rattrappe le soleil qui péniblement, petit à petit, tente de percer à travers le brouillard. Lui rayonnant, moi essoufflé, en même temps, nous arrivons à la vieille croix de bois. Elle se dresse fièrement sur son calvaire; "La montagne du Nord", comme on la nomme; à cause de sa position géographique par rapport au village. Le brouillard recouvre tout. Un véritable océan s'agite à mes pieds. Tout blanc, sans cesse en mouvement, il se déplace, roule et glisse quelques mètres à peine plus bas. que mon poste d'observation. Les rayons du soleil brillent sur une véritable mer de ouate où les jeux d'ombres et de lumière simulent les vagues déchaînées. À l'est comme à l'ouest, l'horizon est sans fin. De mon île, j'observe attentivement les environs. Loin au sud, comme un second rivage les montagnes de St-Eugène délimitent l'horizon. Comme les oiseaux qui volent autour de moi, j'ai l'impression de flotter au dessus des nuages, au dessus de ces bruits de voitures et de camions qui me parviennent de la 132, juste en bas. Seules quelques îles émergent ici et là. Au loin, avec ses granges et ses silos, le rang de la Belle-Corne. Cet îlot, à quelques degrés sur la droite, c'est la montagne de la mine avec sa grande croix lumineuse que la clarté matinale a éteinte. Et cet objet étrange qui pointe, planté là au milieu de nulle part, est-ce un satellite entouré de coupoles? Est-ce un OVNI affublé d'antennes? Peut-être des extra-terrestres qui profitent de cet écran protecteur pour épier les mouvements des fabiennois? Non! Non! c'est la tour de relais radio qui surplombe la montagne Beauchesne, seule l'extrémité perce les nuages. Le reste est comme un casse-tête que j'aurais assemblé plusieurs fois. J'en connais toutes les pièces par coeur. Les yeux fermés je replace les morceaux. Le village est là, devant moi, juste en face; invisible et silencieux dans son réveil. Se dressant en plein centre, l'église, avec son clocher pointant vers le ciel. J'entends des bruits et des voix provenant du côté de la route de la mer; sans doute les ouvriers des tourbières qui reprennent leurs activités quotidiennes. Dans un champ, non loin, du côté ouest, le son grave du moteur d'un tracteur, et le bruit métallique d'une faucheuse trahissent des activités agricoles. Derrière moi, il y a le fleuve St-Laurent, je ne le vois pas, mais je sais qu'il est là, brûme ou pas brûme, il est toujours là. Je médite, étendu sur le rocher, paupières clauses et somnolent. J'ai comme perdu la notion du temps. Je rouvre les yeux, un peu égaré, le soleil luit un peu plus haut dans le ciel, la brûme est complètement disparue et les bruits sont assourdis et sans écho. J'ai dû dormir une bonne heure. Avec regret, je redescend la montagne. Il faut que je me grouille le postérieur, Je travaille à neuf heures ce matin. _ On a enlevé la croix il y a quelques années. _ La cabane ne fait plus partie du décor depuis plusieurs décennies. |
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