- "Dimanche, on pourrait aller à la mer, assister à la messe à la chapelle puis aller pique-niquer quelque part."
Ma mère avait glissé cette phrase pour sonder le terrain. Et voilà, le programme était lancé pour dimanche prochain. Souhaitons
qu'il ne pleuve pas! Samedi soir, la météo semble favorable, on prévoit du beau temps pour demain. Ma mère s'affère à préparer des
sandwich, une liqueur aux fraises pour ma soeur et une aux ananas pour moi.
- "J'ai téléphoné à Aline, elle va venir aussi avec les enfants".
Nous informe ma mère.
- "Plus y a du monde, plus on s'amuse."
Mon père nous réveille assez tôt le matin.
- "Vite levez-vous les enfants, la messe est à 10:00 hres et il faut arriver de bonne heure pour avoir de belles places".
Nous passons chercher ma tante, mes cousins, mes cousines et partons pour Saint-Fabien-sur-mer. Nous arrivons à la chapelle
une bonne demi-heure avant le début de la messe. Je me souviens qu'à cette époque, juste en face du stationnement, il y avait une
petite épicerie. Sur le mur de la bâtisse, bien en évidence, une affiche métallique moussait la popularité estivale des produits
laitiers "Laval". La petite fille aux cheveux bouclés, arborant un grand sourire en exhibant son cornet de crème à la glace,
faisait bien son travail. En la voyant, les enfants se regardent tous avec le même désir dans les yeux, espérant que les parents,
qui faisaient mine de ne pas avoir vu la succulente publicité, nous achètent une crème glacée après la cérémonie religieuse.
Nous nous dirigeons d'abord vers la grotte; juste à côté de la chapelle, en haut d'une rocaille fleurie. Elle est dédiée à la
Sainte-Vierge Marie, patronne de la chapelle. Ce n'est qu'en 1971 que la paroisse sera érigée canoniquement sous le vocable
Notre-Dame-des-Murailles. Mon père s'arrête devant les lampions et sort quelques pièces de monnaie de sa poche. Quand il nous amène
ici, c'est chaque fois le même scénario:
- "C'est moi qui l'allume papa".
- "Non! Non! c'est moi".
Rétorque ma soeur.
"Ne vous chicanez pas".
Réplique mon père.
- "On va en allumer deux. Choisissez votre couleur"
Dit-il en sortant des allumettes de ses poches après avoir déposé l'argent dans le tronc. Chaque lampion était placé dans un petit
bocal de verre coloré et nous en choisissons chacun un. Mon père frotte une allumette sur le support en métal et me la présente en
disant:
- "Attention à tes doigts".
Il en craque une deuxième et dit la même chose à ma soeur tout en guidant sa main de peur qu'elle ne se brûle.
La cloche sonne, c'est l'heure de rentrer pour la messe. Nous entrons donc et nous plaçons presqu'en avant. Ma tante, avec ses enfants
prennent le banc juste derrière nous. Mon cousin, qui a presque mon âge est assis au fond, tout comme moi. Quelques secondes
à genoux pour une prière, ma mère sort son chapelet de son sac à main, elle récite pieusement quelques dizaines de "Je vous salue Marie"
en attendant le célébrant. Mon père, discrètement, tire le sien de sa poche et prie silencieusement. Nous nous assoyons et je jette
un regard autour sur les objets qui ornent la modeste chapelle. Les tableaux qui illustrent le chemin de croix: "Jésus est chargé de
sa croix", Jésus tombe pour la troisième fois", "Jésus est cloué sur la croix"; il y a quatorze panneaux comme ça. Oh! Voilà le curé.
Il est accompagné de trois enfants de choeur: habillés d'une soutane noire avec un surplis blanc immaculé. Celui qui marche en avant
transporte une croix et les deux autres, qui précèdent le curé, portent chacun un grand cierge. Tout le monde se lève et la messe
commence. Je suis assez attentif jusqu'au sermon, jusqu'au moment où mon cousin, commence à me distraire et me prend une bonne pincée
dans les flancs. En fait, c'est peut-être moi qui ai commencé en faisant mine de lui voler le cinq sous que sa mère lui a donné pour
déposer à la "tasse" durant la quête un peu plus tard. Toujours est-il que mon père, comme avertissement, me serre le bras et me jette
un regard sans équivoque.
- "Tiens-toi tranquille encore un peu, ça va bientôt finir".
Ma tante, en arrière de nous, fait signe à mon cousin de déménager à l'autre extrémité du banc pour mettre un peu de distance entre
nous deux. Et voilà, le calme revenu.
Le curé commence son sermon par:
- "Mes bien chers frères, ce deuxième dimanche d'août, fête de l'Assomption, est consacré à la Vierge Marie, patronne de notre église ..."
Je continue mon investigation des lieux; je cherche à identifier les statues, je tente d'interpréter les vitraux et je ...
- "...immédiatement après la cérémonie, il y aura une procession à la vierge. On se rassemblera en avant du perron après la messe."
Le sermon terminé, la messe continue.
- "Dominus vobiscum".
Chante le célébrant et les paroissiens répondent:
- "Et cum spiritu tuo".
Bien oui, c'était encore le temps où la messe était chantée en latin. Après la communion, quelques prières, quelques messages aux
paroissiens et le curé prononçait la conclusion de l'office divin.
- Dominus vobíscum.
- Et cum spíritu tuo.
- Benedícat vos omnípotens Deus Pater, et Fílius et Spíritus Sanctus.
- Amen.
Et le prêtre termine en disant:
- Ite, missa est.
L'assistance de répondre:
- Deo gratias.
Tout le monde sortait de son banc en même temps pour se diriger vers les
portes et rejoindre ceux qui étaient sortis prématurément, à la communion.
Seuls quelques pressés quittent avant la procession. La plupart des gens restent sur place en attendant les directives. On distribue
à chacun une chandelle avec un pare-vent orné d'une image de la vierge. Et voilà, le prêtre et les enfants de choeur en tête,le
cortège se met en branle. C'est en rang, deux par deux, que les fidèles suivent le défilé. Tantôt entonnant des chants religieux,
- Ave, Ave, Ave Maria ... - tantôt répondant aux invocations du prêtre, le petit groupe se dirige vers un endroit préalablement
choisi qu'on nomme "le reposoir".
- "Je veux la chandelle papa."
- "Voilà, mais attention qu'elle ne s'éteigne."
- "C'est à mon tour papa".
Chigne ma soeur.
- "Prête-lui un peu."
Me dit mon père. Je lui prête la chandelle à contre-coeur. Oups! elle s'éteint, j'ai voulu lui faire peur mais j'ai soufflé
un peu trop fort. Au lieu de chanceler un peu, la flamme s'est éteinte. Ma soeur s'est mise à brailler et j'ai bien failli
hériter d'une bonne tape derrière les oreilles venant de ma mère. Heureusement que j'ai de bons réflexes.
L'incident terminé, on est presqu'arrivé au reposoir où on s'arrêtera pour une courte cérémonie et quelques prières. La procession
reprendra en sens inverse jusqu'à la chapelle les enfants de choeur reprennent les chandelles et chacun retourne chez lui pour le
dîner dominical.
Mais nous, ce n'est pas à la maison qu'on s'en va, c'est à l'épicerie. Non, on a pas oublié la petite fille au cornet. Ma cousine
lance:
- "Je serai la première sur le perron de l'épicerie".
Et nous partons tous en courant vers ce lieu de rendez-vous.
- "Ne courez pas les enfants, vous pourriez tomber et surtout attention aux autos en traversant la rue".
Nous lance vivement maman.
Ce n'est pas par prudence que nous n'avons pas traversé la rue. Nous avons attendu les parents bien assis en dessous de l'affiche sur
le perron de l'épicerie. Bien que mon père faisait semblant de ne pas nous voir, le sourire qu'il a lancé à ma mère trahissait son
intention. Elle jeta un coup d'oeil vers sa soeur et ils vinrent nous rejoindre sur le perron.
- "Ce nest pas raisonnable, juste avant le pique-nique, ça va couper votre dîner."
Nous dit ma mère.
Mais nous avions des arguments:
- "Non! non maman! On va manger pareil et après tout, c'est dimanche."
Et les parents de répondre:
- "Bon ça va mais un cornet juste à une boule."
- "Moi je veux un rouleau à l'érable";
- "Moi un "Revelo"
Et les autres prirent des cornets à une boule.
- "Oû voulez-vous aller pour pique-niquer?" questionne mon père. Et il ajoute:
- "Choisissez un endroit pas trop loin, l'auto est pleine, on pourrait se faire arrêter par la police."
L'auto est pleine! c'était bien le cas de le dire, nous étions neufs enfants et adultes, engloutis dans la Studebaker de mon père
ce matin là.
Je propose:
- "À l'îlet papa, à l'îlet".
- "Oui, à l'îlet."
Renchérirent ma soeur et mes cousines.
Des fois, les dimanches, on partait pour nulle part, on se promenait dans les rangs ou on prenait la route nationale, la 10 à
l'époque, jusqu'à ce que nos estomacs nous crient d'arrêter. Vu les circonstances, mon père fila directement vers "le castor",
c'est ainsi qu'il appelait cette pointe qui évoque, encore aujourd'hui, la silhouette d'un castor qui avance dans l'eau. Donc,
direction est, jusqu'au bout, à l'îlet-au-flacon.
Le pique-nique (Texte en préparation)