MES CHRONIQUES TANTÔT LÉGENDES - TANTÔT VÉRITÉ |
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La Mère Batoche Texte de Jacques Therriault
Pour situer dans le temps ou dans l’espace mes photos anciennes de la région, je consulte et visionne les vieux documents ainsi que les vieux journaux. C’est tout à fait par hasard qu’en feuilletant les pages du journal
La Presse du 3 octobre 1906 via le site Internet de Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ) que je suis tombé sur cet article qui parle de l’origine du nom de la Pointe-à-Batoche (Pointe-à-Santerre ou plus
récemment, Domaine Floravie). J’ai trouvé le récit intéressant et j’ai décidé de vous le partager. Je l’ai reproduit dans son intégralité avec la ponctuation et l’orthographe du journaliste. HISTOIRE OU LÉGENDE La mère Batoche La pointe à Batoche est un des endroits du bas du fleuve les plus fréquentés par les touristes. --- Souvenirs de « la mère » Batoche.
(De l’envoyé spécial de LA PRESSE) Bic, comté de Rimouski, 3. –Nul région comme le comté de Rimouski n’est si fertile en légendes et souvenirs de toutes sortes. Les rives de notre grand fleuve ont servi de théâtre à ces héros et héroïnes de ces légendes que les « voyageurs », et les « habitants » ont transmis d’âge en âge. L’un de nos poètes canadiens, Chauveau, je crois, a, dans un quatrain, célébré la beauté de ces souvenirs du sol et il a regretté que ces souvenirs ne restent pas impérissables. Légendes, doux récits qui berciez mon enfance,
Vieux contes du pays, vieilles chansons de France,
Peut-être un jour hélas! Vos accents ingénus
De nos petits enfants ne seront plus connus.
Chauveau était un peu optimiste lorsqu’il écrivait ces lignes puisque les légendes du pays se continuent et se continueront dans le répertoire populaire.
Nous les aimons nos légendes comme nous aimons le sol qui leur a servi de berceau. Des souvenirs nous sont encore plus chers que ceux de ces héros de légende, produits d’une imagination naïve et enthousiaste; ce sont les souvenirs qui demeurent de certains types de notre race. Les courageux pionniers qui ont inscrit leur nom sur le monument que surmontera un jour la statue des lettres canadiennes, se sont obstinés à reproduire le type canadien. Et ils ont eu raison, car c’est le souvenir de ce type canadien qui nous fait mieux apprécier la franchise brusque de l’ancêtre, sa probité et sa foi profonde. Parmi les types dont le souvenir vivra longtemps dans le comté de Rimouski il en est un dont nous dirons quelques mots : c’est la mère Batoche, qui a laissé son nom à l’un des endroits les plus magnifiques de la paroisse de Sainte-Cécile-du-Bic. Il est en effet un certain coin de terre et de mer que les sept ou huit cent touristes qui nous visitent annuellement se disputent le droit d’habiter en été. Ce coin de terre frangé d’eau c’est la pointe à Batoche.
La pointe à Batoche est sans contre-dit le point principal du panorama magnifique que présentent les alentours du Bic et qui a valu à cette paroisse le nom mérité de « Suisse du Canada ». Les vieux nous diront d’où vient ce nom de Batoche donné à cette langue de terre, qui est l’endroit préféré des touristes. Il y a plus d’un demi-siècle, vivait sur cette petite péninsule une bonne vieille qui s’appelait Batoche Fournier. La bonne femme était le cauchemar des mauvaises qui de temps à autre pouvaient s’aventurer dans la paroisse, mais d’un autre côté, elle faisait le délice des voyageurs et de ses co-paroissiens, par ses saillies et son pouvoir presque magique de guérisseuse. La mère Batoche devint veuve alors qu’elle n’avait goûté que quelques années de mariage. Plutôt que de se remarier, elle crut qu’elle serait mieux de vivre tout le reste de ses jours pour le souvenir de son cher défunt, qu’elle avait accompagné au cimetière en versant d’abondantes larmes. La mère Batoche habitait seule cette petite pointe de terre située à environ quatre milles du village du Bic, et qui s’avance dans le fleuve, entre le Saint-Laurent et la rivière Hâtée (que les Anglais écrivent Hatty). À force de vivre seule, la mère Batoche avait fini par oublier jusqu’à ses habitudes du sexe. À soixante ans la mère Batoche fumait comme un vrai pêcheur des Méchins et elle se servait du fusil de chasse et de la hache comme un trappeur de renom. La maison de la mère Batoche est encore debout. Aujourd’hui, une brave famille de pêcheurs l’occupe, celle de M. Michel Santerre, un brave vieillard dans la quatre-vingtième.
Le père Santerre et son fils sont propriétaires de toute la péninsule dont l’extrémité ouest est un bocage feuillu, rendez-vous des touristes en été. Le père Santerre a succédé à la légendaire mère Batoche dont le nom est toujours évoqué par le voyageur qui s’aventure à cet endroit. _ Depuis combien de temps est-elle morte la mère Batoche, demandons-nous au bonhomme Santerre. _ Ça fait bien maintenant une quarantaine d’années, nous répond le vieillard. Et avant que nous le lui demandions, l’octogénaire nous parle de cette vieille à qui la légende a donné des pouvoirs de bonne fée. _ « La mère Batoche, nous dit-il, vous disait la température cinq jours d’avance. _ Aux farauds elle prédisait un mauvais ménage et aux braves gars un mariage heureux. _ « Sa pipe à la bouche, la mère Batoche se mettait au travail tous les matins; bêchant, ratissant et râclant .. _ « Rien ne l’arrêtait, pas même le mauvais temps ou une indisposition. _ « Malheur au mécréant qui se serait hasardé sur la péninsule pour lui faire du mauvais coups. _ « On se rappelle encore qu’un jour la mère Batoche tint tête à deux chemineaux qui voulaient la forcer à leur prêter un gîte pour la nuit, dans sa maisonnette. L’un d’eux reçut une telle râclée qu’il crut prudent de quitter pour toujours le comté afin de n’être plus l’objet des rires des habitants. _ « La mère Batoche était aussi l’amie des pêcheurs qui venaient souvent boire une « terrinée » de lait et « tirer une touche » avec la rude insulaire. » La brave femme dut cependant se soumettre comme tous les humains aux dures exigences de la Camarde. Un jour on apprit que la mère Batoche avait dû s’aliter, vaincue par la maladie. Ce fut un émoi dans le Bic. De toutes parts, on accourut pour voir s’éteindre cette vieille mère Batoche qui avait tant fait parler d’elle depuis plusieurs années. La mère Batoche-Fournier mourut quelques jours plus tard, terrassée par une violente et courte maladie. Ses restes reçurent une humble sépulture mais son nom était destiné à subsister dans le souvenir des habitants du Bic. La Pointe à Batoche est le coin le plus fréquenté par les touristes, à cause de son panorama grandiose, de sa grève sablonneuse et elle doit peut-être aussi sa plus grande popularité au personnage quasi légendaire qu’elle évoque : la mère Batoche.
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