« Oenone » pour prendre le souper. --- es passagers de « Bernadette » parlèrent ensuite d’appareiller pour retourner
le soir même à Rimouski.
Ici laissons raconter ce qui s’est ensuite passé, par MM. Alphonse Fournier, capitaine du « Oenone », Dr Aurèle
Drapeau, et Élie Brunelle.
« En entendant parler d’appareiller pour le départ, le capitaine Fournier dit qu’il ne se souciait pas de partir le
soir même pour Rimouski, bien que le temps fût, dans la baie, relativement calme. M. Fournier était d’avis, d’après son
expérience de marin, qu’il était pour le moins risqué de s’aventurer tout de suite sur la mer parce qu’il prévoyait qu’il
y aurait tempête au large.
Adhémar Ringuet était celui qui insistait le plus pour retourner immédiatement.
Pendant ce temps l’équipage du « Bernadette » se mettait à l’œuvre pour appareiller leur vaisseau. --- Mais M.
Fournier refusait toujours de consentir aux pressantes insistances qui lui venaient du « Bernadette ».
« Attendez à demain, nous partirons ensemble au « petit jour ». Mais au « Bernadette » on ne voulait plus rien
écouter des conseils qui leur étaient donnés et l’on criait avec force : « On s’en va! On s’en va!. --- Et Fournier de
répliquer : Vous voulez partir? Très bien, mais préparez-vous à « manger » de la mer. --- Et puisque vous voulez
absolument partir, nous allons faire voile ensemble ». Et il donna immédiatement ordre à ses compagnons d’appareiller
et de tout préparer pour le départ. Ce qui fut fait très prestement.
À cause de sa position, le « Oenone » sortit de la Baie Blanche avant le « Bernadette » qui le suivit. ---Il était à
ce moment 6 hrs 30 p.m.
A 6 hres 45, le « Bernadette » arrivait sur l’autre yacht. Fournier commanda alors à ses hommes de peser le
« fly jib » ce qui fut aussitôt fait. Il faisait très noir. De l’ »Oenone » on ne distinguait absolument rien sur l’autre
vaisseau. Mais on entendit clairement la voix d’Adhémar Ringuet qui tenait la barre et qui criait aux occupants du
« Oenone » : »Vous avez pesé votre voile, hein! », disant cela sur un ton d’ironie ».
Aussitôt après cette manœuvre, l’ »Oenone » prit rapidement de l’avance sur son rival. Après une course
d’environ une heure, le yacht se trouvait en pleine mer. Il essuya alors une subite et terrible bourrasque de vent d’ouest,
ayant à faire face en même temps à la violence du courant montant. Le capitaine donna ordre de prendre sans tarder
un ris dans la voile de misaine. Pendant cette manœuvre, le « bôme » d’artimon se cassa avec violence. On abandonna
la manœuvre de « prendre un ris » pour aller en toute hâte sauver la voile d’artimon qui se trouvait à l’eau.
M. Brunelle qui ne travaillait pas à la manœuvre s’aperçut alors, en regardant dans la direction du
« Bernadette » que les lumières de ce yacht n’étaient plus visibles. Quand les lumières du « Bernadette » disparurent,
selon MM. Fournier et Brunelle, le « Bernadette » n’était pas plus loin qu’à 3 milles de la Côte Nord, et le « Oenone »
en était à 6 ou 7 milles. On fut, à bord du « Oenone », sous l’impression que le « Bernadette » avait viré de bord pour
retourner vers la Baie-Blanche qu’on venait de laisser.
On n’eut pas d’inquiétude trop vive sur le compte du vaisseau que l’on croyait retourné vers le nord, le
« Bernadette » s’étant bien comporté sur la mer lors de la première traversée, et la manœuvre ayant été excellente.
L’ « Oenone », une fois remis en ordre et les dégâts causés par la bourrasque ayant été sommairement réparés,
continua de filer vers le port de Rimouski où il arriva vers 10.30 p.m.
Il fut impossible d’accoster au quai de Rimouski. Il fallait mouiller dans le port et on ne mouilla définitivement
qu’à 1 heure a.m., lundi.
« Le lendemain matin, M. Ubald Lavoie vint nous remorquer avec son yacht à gazoline jusqu’au quia de
Rimouski, où nous débarquions vers 7 heures. »
Aussitôt rendu à sa résidence, le Dr Drapeau téléphona à M. Fairlie Blair, frère de M. Harold, propriétaire du
« Bernadette » et lui raconta tout ce qui s’était passé la veille, et exactement tel que nous le racontons plus haut. Voilà
ce que nous assure le Dr Drapeau.
MM. Fournier, Drapeau et Brunelle étaient fermement convaincus que leurs amis du « Bernadette » étaient
retournés à la Baie Blanche, mais aujourd’hui, à la suite de l’ignorance totale où l’on se trouve du sort des disparus,
malgré les recherches et les perquisitions de toutes sortes qui ont été faites pour les découvrir, il n’y a plus de doute
pour eux que le « Bernadette » n’a pas viré de bord quand il fut assailli par la bourrasque, mais que par suite de défaut
de manœuvre, le vaisseau trop lesté a été englouti du coup sous la masse d’une vague, à moins qu’une « bordée » se
serait détachée et que le yacht ait ainsi fait de l’eau et coulé.
La première éventualité est la plus probable, et dans ce cas l’engloutissement se serait fait en moins de 2
minutes.