On m’appelle La maison Blais et j’ai envie de vous raconter mon histoire.
Il était une fois au Bic, un village surnommé La petite suisse du Québec, un homme appelé Adélard Blais. C’est grâce à lui que je suis née, en 1913, toute simple sans soubassement comme cela se faisait à cette époque.
Adélard Blais (1913-1915)
Adélard possédait un moulin à scie au 5e rang du village. Il fabriquait du bois marchand et du bardeau. Cet homme ingénieux, sans se limiter au moulin, décida de fabriquer des bateaux à voiles. Durant l’été, il préparait de grands
morceaux de bois de soixante pieds (18,2 m) de long par deux à trois pieds (60 à 90 cm) de large. Il chargeait tout son butin sur un traineau double à l’avant et sur un simple à l’arrière. L’automne venu, il le tirait
jusqu’au quai du village avec ses chevaux. Le printemps suivant, il commençait de magnifiques voiliers, dont le célèbre Givancé. Ce bateau de 110 pieds (33,5 m) de long, en merisier, fut fabriqué pour M. Gérard Côté.
Quand le temps fut venu pour lui de se retirer des affaires, il vendit son moulin à la compagnie Price Brother’s. Moi, du même coup, je fus cédée à M. Charles Lavoie; nous sommes en 1915.
Charles et Mathilda Lavoie (1915-1928)
À cette époque, près de moi, poussaient de petits poteaux tout le long du chemin. À partir de ce moment, ce n’était plus jamais tout à fait la nuit au village. C’était aussi l’époque de la Première guerre mondiale et
de la grippe espagnole.
Ancien cultivateur, Charles se découvrit des talents de boucher. Il achetait des bêtes qu’il faisait jeûner durant 36 heures. Ensuite, il les tuait et vendait leur viande à ses clients réguliers. Charles installa aussi une glacière
à même sa boucherie. Il coupait, durant l’hiver, de la glace sur un lac et il l’entreposait sur du bran de scie dans sa boutique. C’est là que les gens du village venaient s’approvisionner pour leur glacière personnelle.
Tout ceci se passait dans le bâtiment tout près de moi qui fut rénové tout dernièrement, en 2009.
Maître chantre pour oublier un peu la routine, il introduit tous les chants durant la messe.
Pendant ce temps, moi, je regardais sa femme, Mathilda, élever leurs quinze enfants. J’entrais, aussi, dans le monde des affaires puisque, sur mon premier étage, j’abritais un salon de barbier.
Ce dernier était opéré par Oscar, le garçon de Charles.
Maurice Lavoie et Marie-Jeanne Pelletier (1928-1951)
Quand Charles dut me quitter, il me vendit à son onzième enfant, Maurice. J’avais alors 25 ans. Il fit rouler, de main de maître, toutes les affaires de son père.
Dix ans plus tard, Maurice rencontra Mlle Marie-Jeanne Pelletier. N’étant pas indifférent à ses charmes, il décida de faire d’elle l’élue de son cœur.
Elle était coiffeuse de profession et aménagea un salon de coiffure, ici, au rez-de-chaussée. Ils pouvaient, de cette façon, travailler l’un près de l’autre. Leur histoire d’amour se termina
tragiquement avec le décès de Maurice le 29 mars 1951. Il fut frappé par le train qui passe devant moi.
Gérard Blais et Marie-Jeanne Pelletier (1956-1989)
Arrive alors un nouveau personnage dans mon histoire, c’est M. Gérard Blais. Il reprit la boucherie et devint un nouveau pensionnaire pour moi. Il se rendit d’ailleurs célèbre grâce à sa saucisse.
Marie-Jeanne et Gérard se courtiseront durant cinq ans avant que je fasse la noce pour eux en 1956. Gérard fit beaucoup pour moi, Il me replaça sur des bases plus solides et m’annexa de jolies rallonges.
Il y a beaucoup de va-et-vient au village maintenant. Les gens se rendent à la caisse, à la banque, au magasin général, chez le médecin, à la coopérative, à la gare, chez le cordonnier, le boucher et j’en passe.
C’est à cette période que le bureau de poste devient mon nouveau voisin.
Gérard continue jusqu’en 1970 de faire rouler les affaires de la boucherie. C’est dû à une grave maladie qu’il me quitta pour se rendre au foyer. Marie-Jeanne s’affaire, elle, dans son salon de
coiffure jusqu’à sa mort en 1989. Elle laissa dans le deuil leurs deux grands garçons Robin et Michel.
C’est Robin qui dut s’occuper de moi. Malheureusement, il n’avait pas vraiment besoin de moi et dut me vendre l’année suivante. Je sortis enfin de ma solitude quand l’organisme la Maison des jeunes du Bic me racheta.
Maison des jeunes du Bic (1990 à aujourd’hui)
Depuis ce jour, je suis vivante comme dans mon jeune temps. Plein de jeunes me visitent pour se rencontrer et s’amuser plus de 10 mois par année. Je fus l’hôtesse de divers projets ponctuels comme pendant les étés 1993 et 1994
où j’ai servi de gîte "Bonjour la visite" que ça s'appelait. J'accueillais les touristes en visite dans le village.
Mes nouveaux propriétaires ont aussi pris soin de mon environnement extérieur. Il y a eu l’aménagement d’un terrain de volley-ball, transformé tout récemment en un jardin communautaire, et aussi une aire asphaltée
pour le sport. Et que dire de ma petite-fille, la boucherie Blais qui fut entièrement restaurée grâce au travail de bénévoles du village. Maintenant, elle sert de kiosque patrimonial pendant l’été.
Pour ma part, je fais de moins en moins mes 100 ans avec mes pièces pleines de couleurs, mes nouvelles galeries et mon nouveau sous-sol restauré et aménagé. Ça me permet maintenant d’éviter les infiltrations d’eau qui
étaient dommageables pour mes vieux os.
Déjà centenaire et pleine de souvenirs, j’espère bien continuer d’agrémenter les souvenirs des jeunes de mon village et des communautés environnantes. J’espère vivre encore bien longtemps pour vous raconter la
suite de mes aventures…